En première approche, présentement en train de lire ou d’écrire, en ce pays de la Liberté, Égalité, Fraternité, la réponse est aisée : oui, évidemment, nous sommes Libres !
Evidemment, car chacun de nous, en notre Pays des Droits de l’Homme et du Citoyen, bénéficie de la protection, selon l’Article 1 : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.
Donc oui, en toute logique, nous sommes, a priori, libres …
Pour autant, je dirais même : pourtant, non, nous ne sommes plus libres. En effet, cette même Charte admet, peu après, à l’Article 7 : « mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance« .
Ainsi donc, nés Libres, nous devons – chacun d’entre nous – accepter librement qu’on nous imposât une pratique respectueuse de la Loi, et nous prenons librement des obligations, parfois même pour certains à caractère solennel et sacré.
Et en société, en famille, nous nous obligeons (dans les deux assertions du terme), et nous promettons parfois… promesses de garder des secrets qui nous sont confiés, promesse d’aimer, de secourir, de nous conformer aux statuts et règlements de nos associations, sociétés, sports et autres jeux.
Notre anima sociale nous rappelle sans cesse que nous sommes condamnés au travail, à la vieillesse, à la mort. Nous devons mener une vie active et laborieuse.
Résumant tout cela, notre éducation, notre instruction, notre apprentissage de la vie nous rappellent qu’un homme libre se libère aussi en soumettant ses volontés. « Un homme, ça s’empêche. Voilà ce que c’est un homme, ou sinon… » (Albert CAMUS, Le premier homme, son dernier roman autobiographique).
Nous avons donc cédé notre liberté. Et ce n’est pas chose anodine…
Certes, l’on m’a plusieurs fois répété qu’il plus difficile de prendre un engagement que de s’en libérer, au nom justement de ma liberté d’arbitrage… Mais serais je libre ensuite, ayant trahi mon serment ?
Une question peut nous être posée, d’ailleurs quant à nos obligations : les serments que nous avons prononcés ne vous donnent-ils aucune inquiétude ? Nous sentons-nous le courage de les observer ?
Je dois me reposer la question aujourd’hui : ne suis-je pas inquiet d’avoir prêté serment à des personnes qui ne m’en libèreraient qu’au prix de l’exécration de ma mémoire ?
Est-ce que je me sens le courage de respecter mes obligations ? Parfois oui, et parfois je doute…
Je doute ? Homme de peu de foi ! Dans le Volume de la Loi Sacrée, nous trouvons, en Jean, Chapitre 8, verset 31, l’affirmation suivante : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. »
Ah… Quel soulagement est-ce, de savoir qu’il existe un parcours qui nous permet d’accéder à la vérité, et qu’ainsi nous pouvons recouvrer notre Liberté perdue.
Mais encore, au-delà de l’apparente simplicité de ces paroles (« la vérité vous rendra libres »), la dizaine de versets qui suivent cela m’a plongé dans de nombreuses heures d’interrogation, de lecture et de relecture, de recherche et de réflexion, n’ayant abouti qu’à un abyssal malaise…
Alors, finalement, sommes-nous Libres ? Et qu’est-ce qu’être libre ?
Que faire de la distinction entre la volonté (avec la détermination que l’on met à vouloir ce que l’on veut vraiment), à distinguer d’un souhait plus abstrait, et d’un désir plus passionnel ? Est-ce liberté que de décider d’accepter de succomber à un désir ?
Nous arrivons sur Terre totalement dépendants des adultes qui nous entourent. Nous n’avons aucune conscience de ce que peut être la Liberté. Nous ne sommes pas libres, à l’origine, bien qu’il a été déclaré que nous naissons libres. Il y aurait donc une liberté innée pour certains, et moins pour d’autres ? Un mystère pour moi…
Toujours est-il qu’au fil des années, nous nous faisons hommes et femmes.
D’un côté, les régulateurs et les moralisateurs, les psychologues et les neuro-sciences, les peureux et les fatalistes, tout un pan de l’humanité qui s’évertue à nous prouver, avec force raison, que nous restons dépendants, contraints, et pilotés.
Alors que de leur côté, les philosophes et les libertaires, les idéalistes et les révolutionnaires, les jouisseurs et les religieux aussi, ainsi que les plus extrémistes Sartriens, affirment qu’il ne tient qu’à nous de profiter de notre totale liberté innée, et que c’est ce libre-arbitre-là qui nous rend responsables, porteurs d’une responsabilité individuelle de nos actes, face à nos frères humains.
Personnellement j’ai goûté au sentiment de liberté, de ce que j’appelais alors la vraie totale liberté. J’y ai goûté tellement, jusqu’à devenir dépendant de mon indépendance, esclave de mon besoin de sentiment de liberté.
Et puis finalement, ma conviction, intime et profonde aujourd’hui, est que, non, personne n’est vraiment libre.
Cette conviction aurait d’ailleurs tendance à m’atterrer, me faire plier échine.
Mais nous sommes ainsi, nous les humains : à peine sommes-nous conscients que non, nous ne pouvons pas être réellement libres, dès lors se réveille en nous ce réflexe de vie que Nietzsche appelle « la volonté vers la puissance« , « c’est notre réalité la plus profonde, la plus intime, c’est ce vouloir » qui nous pousse à nous libérer.
Ainsi, pour penser à notre liberté, il me semble préférable de parler de processus de libération.
Car affirmer simplement « Nous sommes totalement libres », ou au contraire affirmer « nous ne sommes pas libres du tout », c’est s’engager dans d’interminables circumambulations ; je me vois ainsi passer incessamment de l’ombre à la lumière, comme un amoureux effeuillerait une marguerite diaboliquement interminable : un peu, beaucoup, passionnément… pas du Tout libre… mais un peu, beaucoup, passionnément…
D’un côté, défendre à tout prix notre liberté, c’est s’enfermer dans un combat perdu d’avance. Mais d’un autre côté, se savoir soumis à tant de contraintes, c’est oppressant et révoltant.
C’est, en langage commun, le serpent qui se mord la queue.
Intéressant symbole, d’ailleurs, que celui de l’Ouroboros, ce symbole du Serpent se mordant la queue, présent depuis des millénaires dans de multiples traditions répandues sur la surface de la Terre.
D’où cette autre question : quel est le symbole de la Liberté ?
De symbole lointain, je vois la statue dite « de la Liberté » : la Liberté éclairant le monde. Elle puise ses racines dans le Grand Sceau de la République Française et sa coiffe étoilée, à sept branches. Elle puise son inspiration jusqu’à nous faire remonter à une des sept merveilles du Monde Antique : le Colosse de Rhode, ce phare à l’effigie d’Hélios, le dieu du soleil. Mais elle est par trop moderne.
Ou bien, comme symbole, pourquoi ne pas choisir, alors, le bonnet phrygien, qui est aussi symbole, sinon de Liberté, du moins de libération ? Il est présent dans de nombreuses cultures, inspiré du pileus romain qui coiffait les esclaves affranchis, mais aussi les Rois Mages des paléo-chrétiens. Il remonte à la Grèce Antique, d’où son nom de Phrygien (d’Anatolie), alors que déjà, dans la Perse Antique, dès Mille ans avant notre ère, le dieu Mithra (dont le nom, en langue védique, signifie « ami contractuel », dieu bienveillant, dieu du serment et de l’alliance, qui protège la justice et veille à l’ordre du monde), le dieu Mithra, donc, au septième et ultime niveau de son parcours initiatique, portait cette même coiffe.
S’il me fallait désigner un symbole en particulier, je dirais que c’est chacun de nous qui a la charge de symboliser la liberté qui peut être celle de l’Homme. Homme libre, libre de prêter serment et libre de s’obliger envers ses frères humains.
Les Séphiroths Kabbalistiques, tout comme Spinoza, nous accompagnent à accepter que notre amplitude de liberté ne réside que dans l’orientation que nous nous donnons, sachant justement que nous sommes pilotés et amenés, mus, ou tout autre terme désignant ces vérités auxquelles faire face : être non-libre, être contraint, être obligé de, être prisonnier, être esclave, … Nous ne sommes pas libres du Tout, pas libres du Grand Tout. Nous en faisons partie, du Grand Tout, nous sommes des particules de la Grande Architecture Universelle.
Nous ne pouvons qu’accepter ces dures vérités, ces déterminismes.
Ce qui nous reste, c’est à éclairer au mieux nos courants obscurs et orienter notre foi en notre Libre-arbitre.
Ainsi, ce que j’appelle désormais mon Libre-Arbitre, c’est d’assumer de me responsabiliser, de faire miens des choix qui me sont dictés mais dont j’oriente la lumière, l’angle d’éclairage.
En me moralisant ainsi par rapport à mes penchants naturels, mes passions, mes multiples déterminismes, je pense participer à mon amélioration propre, à celle de mes frères humains, et me sentir mieux en phase avec l’harmonie de la Grande Architecture Universelle qui nous unie.