L’Étoile

Quand on avance dans la vie, il y a des passages… Tout est là.

Il y a des pas sages. Et si les pas, eux, peuvent être sages, celui qui passe a encore et toujours bien du chemin à faire vers la sagesse, bien des voyages à vivre encore…

Tout est là, pour celui qui voyage : il est en transition.

J’ai beaucoup tourné en rond dans ma vie, et je tourne encore beaucoup en rond. Et à chaque fois que j’arrive vers une lumière, une étoile qui aurait éclairé ma nuit, j’ai déjà amorcé une courbe et je fais déjà face à la nuit.

Ainsi sont mes voyages, qui me conduisent à côtoyer de plus près la Lumière, mais m’invitent aussi à faire face à l’Obscurité, soit symboliquement en passant plusieurs fois de la Lumière à l’Ombre, soit en portant mon regard sur mes alter-égos dans lesquels je peux percevoir plus ou moins de lumière, selon mes habitudes, mes regards.

De fait, ces dernières années, mon regard sur le monde et mon rapport au monde ont évolué, et je m’exerce, au quotidien, à regarder toute noirceur comme une chose simplement moins éclairée, peut-être, mais non moins éclairante, car la vraie lumière est partout. C’est à moi de ne pas l’oublier, à moi de la percevoir.

Cette dynamique-là, entre éclairant et éclairé, éveille en moi le sentiment indéfectible de la Foi. Et un de ses symboles est, à mes yeux, l’Étoile.

Elle attire les regards, elle attire à elle, et elle flamboie, elle livre, délivre de la lumière.

Une étoile ne tient sa lumière que d’elle-même, elle ne prend rien à personne, elle se suffit à elle-même.

Quand elle flamboie, elle partage sa lumière mais le terme flamboyer porte aussi l’idée d’intermittence, comme une alternance d’intensité qui dicte un certain rythme.

Face à une telle lumière, les humains peuvent accourir et s’y perdre, tels Icare, ou bien autour d’elle tournoyer indéfiniment, aveuglément, comme des papillons de nuit autour du lampadaire.

C’est peut-être aussi pour cela que certains nomment, soulignent et mettent le focus sur le centre de l’étoile, pour nous faire aller plus loin, plus près, plus profond… au-delà du doigt du sage que regarde l’idiot.

Ne sourions pas trop vite à cette idée de l’idiot qui regarde le doigt qui indique la Lune. Le doigt, c’est la direction, le chemin, le signe, et il n’y a pas à s’interdire de le regarder. Au contraire, reconnaissons-lui cette vertu, et sachons comprendre son sens, la direction qu’il nous montre.

Le symbole de l’Étoile peut donc être présenté comme la composante de trois éléments : une étoile, son flamboiement, et son centre. Or, chacun de ces éléments est une source intarissable de mystères.

Premièrement, considérons l’Étoile.

Notre étoile première est le Soleil. Et le soleil flamboie. Et il est le Dieu Râ, pour les Égyptiens Antiques. C’est un premier symbole.

Mais dans notre culture et littérature Gréco-Judéo-Chrétienne, le terme étoile nous amène un peu plus loin.

En effet, dans l’Ancien Testament, il est souvent question des étoiles du matin. Et en fait, l’Étoile du Matin, celle que nous appelons l’Étoile du Berger, c’est Vénus.

Homère la personnifie par Éosphoros (Homère, chant XXIII, 226-2272 de L’Iliade), le porteur de l’aurore, que les Romains assimileront plus tard à Lucifer, le porteur de Lumière.

Mais Vénus est aussi, la nuit, le second astre brillant après la Lune, devenue ainsi la déesse de l’Amour chez les Romain.

Elle peut symboliser, ainsi, la transition entre la nuit et le jour ; et elle est très liée au chiffre cinq, nous allons le voir.

Il y eut ensuite l’Étoile de Bethléem qui selon l’évangéliste Matthieu (Évangile selon Matthieu, 2, 1-12) a guidé les mystérieux Mages vers Jésus nouveau-né.

Les avis sont partagés quant à savoir s’il s’agissait ou non de Vénus, éventuellement en conjonction avec une autre planète.

Jean, dans sa Révélation, que l’on nomme Apocalypse, nous parle d’une étoile, qui en devient mystérieuse.

En Apocalypse 8:10, il nous dit que « le troisième ange sonna de la trompette: et il tomba du ciel une grande étoile, brulant comme un flambeau. »

Plus loin, en 9:1, il nous dit : « Le cinquième ange sonna de la trompette: et je vis une Etoile tombée du ciel sur la terre; et la clef du puits de l’abime lui fut donnée » (Bible Darby, traduction française par JN Darby, XIXème siècle à partir des textes originaux hébreux et grecs).

Il ne s’agit, là, probablement pas de Vénus.

En revanche, l’étoile du matin est un des titres que Jean donne à son Jésus-Christ. « Je suis la racine et la postérité de David, l’étoile brillante du matin » (Jean, Apoc. 22.16).

Si l’étoile du matin est bel et bien Vénus, les « Pères de l’Église » catholique ont su nous la faire oublier, car elle est par trop un symbole féminin. Ils préférèrent y associer une certaine Vierge Marie, nommée « Étoile du Matin » dans les Litanies Lauretanae fixées en 1601 par le pape Clément VIII.

Alors pourquoi Vénus nous est-elle importante ? Je l’ai mentionné tout à l’heure : elle est liée à la transition, au rythme, au chiffre cinq.

Le pentagramme de Vénus, c’est le parcours de Vénus observé depuis la Terre (cf. Pierre Causeret, Cahier Clairaut n°148 « Vénus », p.10 , Comité de Liaison Enseignants et Astronomes, Hiver 2014).

Vénus effectue une révolution autour du Soleil en pratiquement 225 jours. C’est sa période sidérale.

Pendant ce temps, la période sidérale de la Terre est de 365 jours.

Leur mouvement combiné fait que, régulièrement, les deux planètes, Terre et Vénus, sont en conjonctions inférieures : elles sont au plus près l’une de l’autre. Cela arrive tous les 584 jours (environ 1 an et demi). C’est la période synodique de Vénus.

A chaque période synodique, nous voyons Vénus au plus près, mais à une position décalée, à chaque fois, de 144°.

Et ainsi, toutes les cinq périodes synodiques, tous les 8 ans, Vénus vient se repositionner quasiment au même endroit dans notre ciel du matin.

Si on joint les positions de Vénus à chacune des conjonctions inférieures, on obtient une étoile à 5 branches, une étoilee en  pentagramme, symbolique et mystérieuse aux yeux de beaucoup.

Le chiffre cinq, le nombre cinq. On pourrait le voir partout : les 5 doigts de la main, de l’autre main, de chacun de nos pieds, les 5 orifices du visage, les 5 sens qui ne sont pas cinq en réalité, mais huit reconnus de nos jours… dont la perception de la Gravitation, le sens moral, etc.

On trouve aussi, dans le pentagramme, le nombre d’or. Je parlerai un jour de son histoire passionnante, mais il me faut avancer.

Je mentionnais tout à l’heure les trois composantes étoile / flamboiement / centre.

Alors qu’est donc ce flamboiement de l’étoile ?

Selon Jean Solis, il s’agit des « Langues de Feu, feu célestiel, énergie du pur Amour, transmis par le Christ à ses apôtres et origine de la succession apostolique ». Cela fait écho aux Actes des Apôtres, 2.2 à 2.4 : « des langues de feu leur apparurent […] et ils furent tous remplis du Saint Esprit ».

Et il ajoute : « En alchimie, elles sont le feu secret qui va porter la Pierre au rouge plusieurs fois. »

D’ailleurs, Patrick Burensteinas, dans son Heptalion, recueil initiatique en sept poèmes alchimiques (éditions Le Mercure Dauphinois, 2015), nous confie ceci à la cinquième étape, qui est – comme par hasard – celle du Soleil :

C’est un astre insolent : il est fier et radieux.

[Mais]A cet orgueil navrant, il devra dire adieu.

S’il n’est que très brillant, tu devras, en partage,

Le rendre plus éclairant ; voilà là ton ouvrage…

Mais le Rubedo m’amènerait tellement loin aujourd’hui que je remets à plus tard son approfondissement.

De toute façon, je ne veux pas brûler les étapes, justement : ne pas me laisser trop aspirer par la lumière qui flamboie.

Pour illustrer combien ce symbole de l’étoile peut nous attirer loin, au chapitre XV de son ouvrage « La Grande Triade », chapitre intitulé « Entre l’Équerre et le Compas » (éditions Gallimard Tradition, 1957-2016, p.112), René Guénon rappelle qu’« entre les deux [l’équerre et le compas], est généralement figurée l’Étoile, qui est un symbole de l’Homme, et plus précisément de l’ »Homme Régénéré », et qui complète ainsi la représentation de la Grande Triade. »

Il annote que l’« Étoile est à cinq branches, et que cinq est le nombre du « microcosme » ; cette assimilation est d’ailleurs expressément indiquée dans le cas où la figure même de l’homme est représentée dans l’étoile (la tête, les bras et les jambes s’identifiant à ses cinq branches) », c’est ce que l’on appelle le pentagramme d’Agrippa.

Quant à l’ »Homme régénéré », il ajoute que suivant un ancien rituel, l’ »Étoile est le symbole de l’Homme resplendissant de lumière au milieu des ténèbres du monde ». Il y fait là une allusion à ces paroles de l’Évangile de Saint-Jean (1,5) : « Et Lux in tenebris lucet, et tenebrae eam non comprehenderunt ». »

Tout cela est si passionnant, fascinant, et tout semble se répondre, indéfiniment, et résonner comme un écho infini.

Par exemple, dans Le Kybalion, Hermès Trismégiste délivre Sept Lois Universelles dont Les principes de vérité sont … pour plus tard…

Mais la Cinquième loi est celle Rythme.

« Tout coule, à l’intérieur et à l’extérieur, tout a sa durée, tout évolue puis dégénère ; le balancement du pendule se manifeste en tout ; la mesure de son oscillation à droite est semblable à la mesure de son oscillation à gauche ; le rythme est constant ».

Voilà donc le flamboiement de l’Étoile.

Venons-en donc à son centre.

Dans son Petit dictionnaire philosophique [1], Wladimir Onkielewitch (Jean Solis, alias Très Regrettable Frère Wladimir Onkielewitch, éditions Aureus, IVe édition, 2019.) affirme que l’Étoile est le symbole fondamental de la spiritualité. Elle possède cinq branches qui, ajoute-t-il, acide, signifient tellement de choses que personne n’est d’accord. »

« Quant à son centre, la lettre « G », rajoute-t-il, il veut dire God depuis son apparition il y a trois-cents ans en Grande Bretagne, mais par chauvinisme culturel [certains] préfèrent Géométrie, voire Guématrie. » (la Gematria est la numérologie hébraïque, l’étude kabbalistique des lettres par les nombres dans la Torah…)

Jean Solis, au-delà de ces boutades, rappelle plus sérieusement, dans son manifeste pour le christianisme ésotérique, titré « En Esprit et en Vérité » (édition Aureus, 2020) que le G est aussi celui de la Gnose, Gnosis, la connaissance, le serpent de la Génèse, courant magique néo-platonicien.

Le G est aussi celui du Saint Graal, du Gris (entre le Blanc et le Noir), et même du Guèse, la langue mère et sacrée du Christianisme, notamment de l’Église primitive d’Ethiopie qui, depuis les temps évangéliques  (Actes des Apôtres, 8.25 à 8.40, et Jean Solis, « En Esprit et en Vérité », p.97), nous transmet le mythe du Prêtre-Jean…

Jean-Christophe Giesbert, dans son ouvrage « Le Langage des Oiseaux, Révélation du Secret Hermétique » (2ᵉ Édition, 2023), nous rappelle que dans l’alphabet « la lettre G vient après la lettre F, lettre du Faire, de la Force, du Feu qui sublime et dépasse la matière.

« Le G marque donc le passage à un niveau de conscience différent, liée à l’involution, c’est-à-dire à l’évolution intérieure de l’Être. Son dessin évoque d’ailleurs un retour vers l’intérieur. C’est la lettre du Graal et du Guide qui sont en nous… »

Il évoque effectivement le dessin de la lettre G qui a une histoire particulière et symbolique. C’est une des très rares lettres à avoir été littéralement inventée.

Quintilien, dans son Institution oratoire précise que selon Plutarque, c’est Spurius Carvilius Ruga (Rufa), personnage semi-légendaire de la Rome antique, qui aurait inventé la lettre G.

Alors que d’un point de vue plus historique, c’est Appius Claudius Caecus, premier écrivain latin connu par ses sentences morales, qui apposa un trait horizontal à la lettre C Étrusque, cette même lettre, la troisième de l’alphabet, venant du Gamma grec dont la graphie représente une équerre…

 En musique, le dessin de la clef de sol est dérivé de la lettre G, lettre utilisée dans le monde anglosaxon pour écrire la note sol.

Certains voient dans la Majuscule du G le demi-cercle du C auquel s’adjoint une équerre : petite barre verticale s’élevant vers Dieu puis horizontale revenant vers le centre, vers le monde Humain.

D’autres y voient plus le dessin d’une spirale involutive qui part du Céleste en haut à droite, puis commence une courbe descendante jusqu’au monde Terrestre et remonte vers le monde Humain à l’intérieur.

Le G peut être aussi le Génie qui « élève aux grandes choses ».

Le mot « Génie » est mystérieusement ambigu : selon le TLFi (Trésor de la langue Française informatisé, http://www.atilf.fr/tlfi, ATILF – CNRS & Université de Lorraine, 1994), il peut désigner une divinité tout aussi bien qu’une aptitude, une faculté humaine. Le terme « Génie » a été introduit dans notre langue en 1532 par un certain Rabelais, dans soninitiatique Pantagruel. Il définit le Génie comme étant un  « caractère, une tendance naturelle de l’esprit » (François Rabelais Pantagruel, VI, éd. V. L. Saulnier, pp. 33-34).

Voilà, j’ai fait le tour de ce que m’évoque l’étoile… non pas LE tour, en fait, mais UN tour… on pourrait en faire 3, 5, 7, une infinité sans tarir le sujet…

Horace, dans son Art Poétique  (Épître aux Pisons, plus connue sous le nom d’Art poétique, estim. 10 av. J.C., Œuvres d’Horace, Paris, Les Belles Lettres, Collection des Universités de France, 1934), nous affirme que Bis repetita placent, et cela est dit sans ironie aucune, parce que la répétition fait l’usage, la règle, la tradition… et ainsi se transmet la culture, pour s’imprégner de la grandeur et de la beauté de nos mythes, légendes, rêves et histoires en tous genres.

Alors considérons cette mystérieuse « Etoile », ne la perdons jamais de vue. Il ne suffit pas de voir les étoiles, mais de les considérer, les regarder avec une grande attention.

L’adjectif « mystérieuse », est performatif. Je m’explique : ne le serait-elles pas intrinsèquement, mystérieuses, que le simple fait de nous l’affirmer nous les rendent mystérieuses car nous y chercherons toujours des secrets.

Alors autant s’y faire : le symbole de l’étoile est mystérieux, et le restera toujours, parce qu’il nous invite à nous sentir en constante découverte et avancée vers des choses toujours plus grandes.

Ce peut donc aussi être un symbole de la persévérance à apporter à notre quête, un symbole comme un rappel pour le jour où on pourrait se sentir « abouti », dans nos parcours : la vue des étoiles nous rappellera à l’ordre, sera là pour nous rappeler qu’il restera toujours une part de mystère et de génie élève aux grandes choses.


Le corps…

Notre corps est le récipiendaire de la partie démiurge de « Dieu », de la partie créatrice, existentielle au sens où on ex-iste, de ex- à l’extérieur.

Nous recevons le monde par la vue, l’ouie, le toucher, l’odorat, le goût, etc.

  1. système tactile, relatif aux informations de pression, de toucher, de température, de vibration ou de douleur ;
  2. système visuel, relatif à la couleur, la forme, la distance ou l’intensité lumineuse ;
  3. système auditif, qui localise les sons, différencie leur intensité, fréquence, et renseigne sur le rythme ;
  4. système olfactif, relatif aux substances odorantes par voie directe (flairage) ou rétro-nasale (qui renseigne sur les saveurs) ;
  5. système gustatif, qui discrimine des classes de substances chimiques (amer, acide, sucré, salé et umami) via des récepteurs linguaux ;
  6. système vestibulaire, qui permet la perception du sens de la gravité, et l’ajustement des mouvements corporels et de leur vitesse ;
  7. système proprioceptif (proprioception), relatif aux muscles, viscères, nerfs, articulations, pression sanguine, glycémie, faim, soif…

Nous pouvons répéter, ah, je suis nourri par mon âme, et le corps nourrit l’âme…

La Rivière

J’ai un goût certains pour les mystères, et j’aime à mentionner, entre autres, les rivières Arcadiennes.

Je me réfère en cela à ce que l’Arcadie peut transporter comme flot symbolique et mythique. Je ne vais pas détailler ici combien le mythe de l’Arcadie vibre encore aujourd’hui ; cela méritera un article spécifique.

Toujours est-il que le mythe Arcadien est encore très présent dans des noms de lieux, d’œuvres artistiques, de cuvées, et au travers de signes plus ou moins cachés au travers de formes discrètes aux yeux profanes.

Ainsi sont les mythes et les symboles : ils nourrissent chacun, selon ses possibilités ou ses envies de les percevoir.

Mais, où en étais-je ? ah, oui, Et in Arcadia ego

C’était en Arcadie, donc, région centrale de la péninsule du Péloponnèse, région montagneuse, pays de l’Ours, Arkd, celui-là même du Roi Arkd-hur.

Robert Graves, dans son Volume 1 des Mythes Grecs, mentionne (p. 203), cette tribu Arcadienne venue de Palestine, pays du Clan biblique de Bela, du roi Belos.

Et les auteurs grecs anciens, tout comme certaines traditions hébraïques Africaines, nous disent que Danaos, le fils du roi Belos, amena cinquante filles en Arcadie, en y introduisant ainsi le culte de la Déesse Mère, devenue Artémis, arkt-emis, la Grande Ourse, celle-là même de la constellation.

C’est cette même Arkt-emis qui donna son nom à Arduina, que les migrations essaimèrent vers les Ardennes, qui prirent son nom avec les Francs Sicambres.

Ainsi, des Francs au Roi Ark-urh, et par-delà l’océan en Acadie, avec tous les Acadiens et toutes les Acadiennes dont la chanson se souvient, et qui en sont des héritiers.

Un flot de récits, donc, comme une rivière dont on peut suivre la trace, d’Orient en Occident…

Mais, où en étais-je ? ah, oui, une seconde fois, Et in Arcadia ego

En Arcadie, qui est symbole d’un mythique paradis pastoral, se jouent aussi des tragédies.

L’Alphée, principale rivière de l’Arcadie, est un Dieu-Fleuve dont la mythologie nous conte qu’il était amoureux de la nymphe Aréthuse.

À cause de cela, celle-ci fut exilée en Sicile, par la jalouse Artemis ; jusqu’en Sicile, de l’autre côté de la Mer Ionienne, à 300 miles marins, plus de 500 km.

Le fleuve amoureux, Alpheios, réussit à passer sous la Mer et à rejoindre Aréthuse. La rivière Arcadienne est donc passée sous les flots, sous l’écume des jours humains, invisible au regard des marins, pour s’unir à Aréthuse et devenir source à son tour.

Rivière Alphée, Alphaios, qui vient de l’hébreu « alph », signifiant « croissance, apprendre, enseigner », issu de l’araméen « alpay », « celui conduit le troupeau ».

Il est étroitement lié à la citée d’Olympie. Il coule au sud du sanctuaire, et il était représenté sur le fronton Oriental du grand Temple. Alphée est navigable et le matériel pour construire le temple a été transporté par radeaux, sur la rivière.

Figurons-nous cela : une rivière divinisée, à la source de peuples libres, qui a permis de construire Olympie et de la nourrir, et qui se glisse sous les flots marins pour resurgir, en tant que source – source d’un nouveau cours d’eau.

C’est ce mystère des Traditions, telles des rivières Arcadiennes qui me fascine : elles peuvent sembler disparaître, se perdre dans un océan ou dans la nuit des temps, mais leur courant ne meurt pas, elles savent resurgir plus loin, plus tard ; et on pourra même les appeler Source, alors.

N’oublions pas, d’ailleurs, qu’une source n’est autre qu’une résurgence d’une onde jusqu’ici invisible car souterraine. À cette onde, que le profane nomme source, l’initié puise un sens plus profond, un sens en amont, une involution, une connexion avec l’Origine, avec un ‘O’ majuscule, et « au commencement était le Logos »…

Et puis immédiatement la source devient ru, le ru ruisseau, le ruisseau rivière, la rivière fleuve, et le fleuve océan. D’où mes réflexions sur la Rivière.

Dans notre langue Française, fort teintée de cartésianisme, nous faisons ces distinctions, entre ruisseau, rivière, et fleuve ; du moins, sommes-nous censés avoir appris à clairement les différencier : la Gironde est un fleuve, alors que son affluent Garonne est une rivière, au même titre que sa sœur la Rivière Espérance Dordogne. Et l’Aude, plus modeste pourtant, elle, est un fleuve puisqu’elle se jette directement dans la mer.

Mais nous aimons nommer fleuve les cours d’eau d’importance. Ainsi, pour nous, ce sont Quatre Fleuves qui partagent le Paradis, en Genèse 2:10, alors que pour la plupart des autres langues ce sont les Quatre Rivières du Paradis.

Marius Schneider, anthropologue spécialiste des symboles et des mythologies antiques, nous rappelle que pour les indouistes aussi, quatre radii coulent au pied de l’arbre cosmique du paradis.

Dans son dictionnaire des Symboles, Juan-Eduardo Cirlot nous rappelle que l’Euphrate, pareillement une des quatre rivières de la Mésopotamie antique, est un élément géographique symbolique Traditionnel. Il est l’équivalent du fluide cosmique qui traverse le monde matériel de Babylone, et ce, dans les deux directions d’involution et d’évolution.

Alors que selon Héraclite, qui refusait les doctrines ésotériques, la rivière est symbole du temps, de la nature irréversible de l’évolution.

Mais alors, si la rivière partage le monde, elle serait plus diabolus séparateur que symbolus conciliateur, en fin de compte ?

En fait, qu’est-ce qu’une rivière linguistiquement ?

La boulangère fait la boulange, elle est à la boulange, la cafetière fait le café, elle est au café, et la rivière ? La rivière, elle, est à la rive, elle fait la rive.

Et cela peut nous inspirer plusieurs voies méditatoires.

La rivière, la regarde-t-on, posté sur la rive, passer devant soi ? Elle symbolise, alors, la limite de notre territoire, de la commune, ou du pays dont elle est souvent frontière. Il y a « chez nous », et il y a « en face ».

La rivière va apporter eau et nourriture, ou bien dévastation, mais elle va ne faire que passer sur notre territoire.

Ou bien, si je suis plus nomade que sédentaire, elle deviendra un obstacle sur mon chemin, un obstacle à traverser, faisant alors de moi un voyageur déterminé qui ne me laisse pas détourner de ma route : je vais m’appuyer sur ma persévérance, je vais devoir passer, fut-ce à la nage, à gué, ou bien je construirai des ponts.

La rivière deviendra alors le symbole de ma marche en avant, de ce que j’ai dû traverser pour évoluer : j’aurais été baptisé de son eau en la traversant, et j’aurais fait preuve de persévérance en continuant ma propre route.

Ou bien encore, autre possibilité, la rivière sera peut-être plus forte que ma volonté initiale de traverser, et alors son flot m’emportera.

Que sommes-nous, en ces cas-là ? Qui sommes-nous, quand le flot de ce qui nous arrive est plus fort que notre volonté première ?

Parfois, on se débat et on lutte, pour revenir en arrière, sur la berge ou pour rejoindre l’autre rive, coûte que coûte. Mais quoi qu’il nous en coûte ?

Parfois l’on doit s’abandonner au destin du flot qui nous emporte, avec ou sans peur du naufrage… C’est selon la Foi de chacun.

Ainsi, restons vigilants, car il peut nous arriver de partir à la dérive au lieu de rester sur la berge…

Partir à la dérive, dériver… Il se trouve qu’on nous enseigne, au lycée, que c’est la dérivée d’une fonction qui nous indique une vitesse instantanée.

La dérivée, la vitesse à un instant t, est déterminée par une tangente sur une courbe.

Une tangente c’est une ligne droite : c’est la direction que suivrait la courbe… s’il advenait, d’un coup, qu’elle ne fût plus courbe.

Dérivée, tangente, courbe, ce ne sont pas des termes seulement mathématiques. Ce sont des termes utilisés par les mathématiques, mais qui ont un sens linguistique plus général, et qui semble porter un paradoxe.

En effet, prendre la tangente, c’est quitter le chemin prévu, tracé d’avance, c’est quitter nos trajets de vie, se mettre à dériver, à quitter la rive, se laisser porter par la rivière. Est-ce vraiment tirer une droite ligne ?

Nos chemins de vie sont comme des courbes, nos vies semblent être courbes, plus ou moins accidentées, selon le parcours de chacun.

Or, pour qui travaille à une certaine droiture, droiture dans sa façon d’avancer et de se tenir sur son chemin, droit dans le respect et la transmission, et, par incidence, droiture de trajectoire, en vigilance et persévérance, partir à la dérive ne se peut concevoir.

C’est donc ici que le paradoxe m’assaille. Si nos chemins sont courbes et que nous travaillons à plus de droiture, alors en allant droit nous traçons une tangente, et donc une dérivée, et donc nous… dérivons ?

Voici donc où m’amène la rivière, celle qui fait la rive : quand je quitte la rive, je dérive, je perds mes repères, alors que pour dériver je dois tracer une droite tangente… paradoxalement…

Je me trouvais là dans ces réflexions, au milieu du gué, lorsque m’est apparue une réponse à cela.

C’est que, aller droit ou de travers, ce n’est, en fait, qu’une question de relativité de point de vue.

De fait, nous savons depuis plus de cent ans maintenant, depuis la relativité générale d’Albert Einstein, que les trajectoires ne sont pas des courbes, mais sont rectilignes… C’est l’espace-temps qui, lui, est courbe, courbé par les forces de gravitation.

Dans son propre repère, la Terre file droit dans son Espace et son Temps. C’est le Soleil qui, par sa force d’attraction, fait plier l’Espace autour de lui et incurve, relativement à lui, notre trajectoire.

Cette découverte implique un changement drastique de paradigme, un changement ontologique de la manière d’appréhender le monde, de comprendre que, pour la rivière, que nous voyons courbe, elle, elle va au plus direct vers l’océan : en effet, chaque goutte de son eau ne peut qu’aller au plus direct. Pour elle, sa dérivée est effectivement au plus droit.

Le paradoxe est levé : dériver, c’est bien aller droit en faisant abstraction du repère déjà obsolète, que serait la rive pré-tracée, courbe.

D’ailleurs, une petite explication sur la courbure : la gravitation est provoquée par la masse, qui elle-même est définie par la quantité de matière.

Or, la matière n’est que du vide : un grand vide entre les noyaux des atomes et leur nuage électronique ondulatoire.

Ce qui fait matière, ce qui fait la masse, et donc ce qui fait la force de gravitation d’un corps, sa puissance de courbure de l’espace-temps qui l’environne, c’est l’énergie qui lie les atomes entre eux, c’est l’intrication des atomes et de leurs quanta d’électrons.

Je me répète : ce qui fait attraction, c’est l’énergie d’intrication des atomes, au même titre que ce qui fait la force de toute société, c’est la communion de ses membres.

Car si les étoiles, les planètes, les satellites et les pommes Newtoniennes ont une trajectoire dictée par la gravité, par l’énergie des corps alentour, pourquoi en serait-il autrement pour nous, humains ?

De fait, nos trajectoires de vie sont influencées par nos proches, et d’autant plus influencées sont nos vies, que l’intensité de nos liens est forte, que l’énergie échangée, positive comme négative, est intense.

Ainsi, nous suivons le cours de nos vies, sur un temps qui peut nous sembler rectiligne, ou bien nous sembler courbe, méandrique, attirés ou répulsés que nous sommes par les énergies de nos semblables.

Alors, afin d’éviter d’être en errance, indéfiniment, au seul gré des attractions et répulsions de chaque jour, pour éviter d’être des fétus de paille sur une onde capricieuse, nous nous construisons, contre cela, une droiture, une équerre, une morale personnelle qui fera de notre parcours un chemin plus architecturé que s’il n’était qu’un anarchique flot furieux d’un torrent de montagne.

Ainsi, de fol torrent erratique, nous nous faisons rivière, nourris de nos rencontres, et nous avançons vers l‘Océan ultime.

Et ce travail-là, c’est exactement comme quand, sur une courbe, en classe de mathématiques, nous faisions DELTA X sur DELTA T pour trouver et tracer la tangente à la courbe en un point précis. C’est ce que nous faisons ici et maintenant, en prenant un temps pour soi, scripteur et lecteur.

La tangente que nous traçons ensemble, en décalé certes mais en partage, nous donne une indication sur la vitesse à laquelle nous avançons dans nos vies, ensemble et pour chacun de part de vers soi.

En cet instant précis maintenant, nous extrayant du monde, de notre vie qui court, nous faisons un point pour prendre la tangente. Je n’affirme pas que nous fassions cela seulement ici, mais j’affirme que c’est un bel espace-temps pour quitter la rive et faire rivière.

Rémy Durand, 25 octobre 1621 et 6 décembre 2023 – La Rivière

Sommes-nous libres ?

En première approche, présentement en train de lire ou d’écrire, en ce pays de la Liberté, Égalité, Fraternité, la réponse est aisée : oui, évidemment, nous sommes Libres !

Evidemment, car chacun de nous, en notre Pays des Droits de l’Homme et du Citoyen, bénéficie de la protection, selon l’Article 1 : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

Donc oui, en toute logique, nous sommes, a priori, libres …

Pour autant, je dirais même : pourtant, non, nous ne sommes plus libres. En effet, cette même Charte admet, peu après, à l’Article 7 : « mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance« .

Ainsi donc, nés Libres, nous devons – chacun d’entre nous – accepter librement qu’on nous imposât une pratique respectueuse de la Loi, et nous prenons librement des obligations, parfois même pour certains à caractère solennel et sacré.

Et en société, en famille, nous nous obligeons (dans les deux assertions du terme), et nous promettons parfois… promesses de garder des secrets qui nous sont confiés, promesse d’aimer, de secourir, de nous conformer aux statuts et règlements de nos associations, sociétés, sports et autres jeux.

Notre anima sociale nous rappelle sans cesse que nous sommes condamnés au travail, à la vieillesse, à la mort. Nous devons mener une vie active et laborieuse.

Résumant tout cela, notre éducation, notre instruction, notre apprentissage de la vie nous rappellent qu’un homme libre se libère aussi en soumettant ses volontés. « Un homme, ça s’empêche. Voilà ce que c’est un homme, ou sinon… » (Albert CAMUSLe premier homme, son dernier roman autobiographique). 

Nous avons donc cédé notre liberté. Et ce n’est pas chose anodine…

Certes, l’on m’a plusieurs fois répété qu’il plus difficile de prendre un engagement que de s’en libérer, au nom justement de ma liberté d’arbitrage… Mais serais je libre ensuite, ayant trahi mon serment ?

Une question peut nous être posée, d’ailleurs quant à nos obligations : les serments que nous avons prononcés ne vous donnent-ils aucune inquiétude ? Nous sentons-nous le courage de les observer ?

Je dois me reposer la question aujourd’hui : ne suis-je pas inquiet d’avoir prêté serment à des personnes qui ne m’en libèreraient qu’au prix de l’exécration de ma mémoire ?

Est-ce que je me sens le courage de respecter mes obligations ? Parfois oui, et parfois je doute…

Je doute ? Homme de peu de foi ! Dans le Volume de la Loi Sacrée, nous trouvons, en Jean, Chapitre 8, verset 31, l’affirmation suivante : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ; alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres. »

Ah… Quel soulagement est-ce, de savoir qu’il existe un parcours qui nous permet d’accéder à la vérité, et qu’ainsi nous pouvons recouvrer notre Liberté perdue.

Mais encore, au-delà de l’apparente simplicité de ces paroles (« la vérité vous rendra libres »), la dizaine de versets qui suivent cela m’a plongé dans de nombreuses heures d’interrogation, de lecture et de relecture, de recherche et de réflexion, n’ayant abouti qu’à un abyssal malaise…

Alors, finalement, sommes-nous Libres ?  Et qu’est-ce qu’être libre ?

Que faire de la distinction entre la volonté (avec la détermination que l’on met à vouloir ce que l’on veut vraiment), à distinguer d’un souhait plus abstrait, et d’un désir plus passionnel ? Est-ce liberté que de décider d’accepter de succomber à un désir ?

Nous arrivons sur Terre totalement dépendants des adultes qui nous entourent. Nous n’avons aucune conscience de ce que peut être la Liberté. Nous ne sommes pas libres, à l’origine, bien qu’il a été déclaré que nous naissons libres. Il y aurait donc une liberté innée pour certains, et moins pour d’autres ? Un mystère pour moi…

Toujours est-il qu’au fil des années, nous nous faisons hommes et femmes.

D’un côté, les régulateurs et les moralisateurs, les psychologues et les neuro-sciences, les peureux et les fatalistes, tout un pan de l’humanité qui s’évertue à nous prouver, avec force raison, que nous restons dépendants, contraints, et pilotés.

Alors que de leur côté, les philosophes et les libertaires, les idéalistes et les révolutionnaires, les jouisseurs et les religieux aussi, ainsi que les plus extrémistes Sartriens, affirment qu’il ne tient qu’à nous de profiter de notre totale liberté innée, et que c’est ce libre-arbitre-là qui nous rend responsables, porteurs d’une responsabilité individuelle de nos actes, face à nos frères humains.

Personnellement j’ai goûté au sentiment de liberté, de ce que j’appelais alors la vraie totale liberté. J’y ai goûté tellement, jusqu’à devenir dépendant de mon indépendance, esclave de mon besoin de sentiment de liberté.

Et puis finalement, ma conviction, intime et profonde aujourd’hui, est que, non, personne n’est vraiment libre.

Cette conviction aurait d’ailleurs tendance à m’atterrer, me faire plier échine.

Mais nous sommes ainsi, nous les humains : à peine sommes-nous conscients que non, nous ne pouvons pas être réellement libres, dès lors se réveille en nous ce réflexe de vie que Nietzsche appelle « la volonté vers la puissance« , « c’est notre réalité la plus profonde, la plus intime, c’est ce vouloir » qui nous pousse à nous libérer.

Ainsi,  pour penser à notre liberté, il me semble préférable de parler de processus de libération.

Car affirmer simplement « Nous sommes totalement libres », ou au contraire affirmer « nous ne sommes pas libres du tout », c’est s’engager dans d’interminables circumambulations ; je me vois ainsi passer incessamment de l’ombre à la lumière, comme un amoureux effeuillerait une marguerite diaboliquement interminable : un peu, beaucoup, passionnément… pas du Tout libre… mais un peu, beaucoup, passionnément…

D’un côté, défendre à tout prix notre liberté, c’est s’enfermer dans un combat perdu d’avance. Mais d’un autre côté, se savoir soumis à tant de contraintes, c’est oppressant et révoltant.

C’est, en langage commun, le serpent qui se mord la queue.

Intéressant symbole, d’ailleurs, que celui de l’Ouroboros, ce symbole du Serpent se mordant la queue, présent depuis des millénaires dans de multiples traditions répandues sur la surface de la Terre.

D’où cette autre question : quel est le symbole de la Liberté ?

De symbole lointain, je vois la statue dite « de la Liberté » : la Liberté éclairant le monde. Elle puise ses racines dans le Grand Sceau de la République Française et sa coiffe étoilée, à sept branches. Elle puise son inspiration jusqu’à nous faire remonter à une des sept merveilles du Monde Antique : le Colosse de Rhode, ce phare à l’effigie d’Hélios, le dieu du soleil. Mais elle est par trop moderne.

Ou bien, comme symbole, pourquoi ne pas choisir, alors, le bonnet phrygien, qui est aussi symbole, sinon de Liberté, du moins de libération ? Il est présent dans de nombreuses cultures, inspiré du pileus romain qui coiffait les esclaves affranchis, mais aussi les Rois Mages des paléo-chrétiens. Il remonte à la Grèce Antique, d’où son nom de Phrygien (d’Anatolie), alors que déjà, dans la Perse Antique, dès Mille ans avant notre ère, le dieu Mithra (dont le nom, en langue védique, signifie « ami contractuel », dieu bienveillant, dieu du serment et de l’alliance, qui protège la justice et veille à l’ordre du monde), le dieu Mithra, donc, au septième et ultime niveau de son parcours initiatique, portait cette même coiffe.

S’il me fallait désigner un symbole en particulier, je dirais que c’est chacun de nous qui a la charge de symboliser la liberté qui peut être celle de l’Homme. Homme libre, libre de prêter serment et libre de s’obliger envers ses frères humains.

Les Séphiroths Kabbalistiques, tout comme Spinoza, nous accompagnent à accepter que notre amplitude de liberté ne réside que dans l’orientation que nous nous donnons, sachant justement que nous sommes pilotés et amenés, mus, ou tout autre terme désignant ces vérités auxquelles faire face : être non-libre, être contraint, être obligé de, être prisonnier, être esclave, … Nous ne sommes pas libres du Tout, pas libres du Grand Tout. Nous en faisons partie, du Grand Tout, nous sommes des particules de la Grande Architecture Universelle.

Nous ne pouvons qu’accepter ces dures vérités, ces déterminismes.

Ce qui nous reste, c’est à éclairer au mieux nos courants obscurs et orienter notre foi en notre Libre-arbitre.

Ainsi, ce que j’appelle désormais mon Libre-Arbitre, c’est d’assumer de me responsabiliser, de faire miens des choix qui me sont dictés mais dont j’oriente la lumière, l’angle d’éclairage.

En me moralisant ainsi par rapport à mes penchants naturels, mes passions, mes multiples déterminismes, je pense participer à mon amélioration propre, à celle de mes frères humains, et me sentir mieux en phase avec l’harmonie de la Grande Architecture Universelle qui nous unie.

Surveiller le Silence

Je me lance. Je vais présenter une esquisse de ce qui serait un suprême paradoxe si j’en parlais, mais qui demeure un exercice si je ne fais que l’écrire, une splendide aporie, problème insoluble et pourtant inévitable : parler du Silence.

Pris de vertige, je prends le mot « silence » tel qu’il me viens, et en opposition j’en entrevois la polarité première qu’est le bruit, envisageant le silence comme étant l’absence de bruit, absence de son, mutisme.

Le Silence peut donc être défini comme absence de bruit, et nous tenons donc une définition commune… du moins nous semble-t-il, car bien vite la notion de bruit se montre relative : un bruit est un son jugé indésirable. Mais indésirable pour qui, jugé ainsi par qui ? Albert Camus nous interroge, d’ailleurs, sur ce qu’est un jugement, à savoir « qui oserait me condamner dans ce monde sans juge, où personne n’est innocent ? » (Caligula, Acte IV, Scène XIV).

Et si le bruit est un son indésirable, alors le Silence est l’absence de son ? Et qu’est-ce que le son ? Une vibration physique de l’air, voire d’un autre support, comme l’eau, dans laquelle se propagent les sons.

Ainsi, le « vrai » silence n’existe pas, car il y aura toujours du son, un moindre bruissement d’air, un oiseau alentour, un moteur au loin, une vibration quelconque… Même pour les sourds, le silence total n’existe pas : ils perçoivent les vibrations et maîtrisent le concept de silence qu’ils définissent comme absence de mouvement et qu’ils symbolisent ainsi triangulairement : de la verticalité à l’horizontalité… Le signe du silence en LFS, la Langue Française des Signes]

Vidéo par Signes de sens, sur le Dico Elix LFS.

Ainsi, sur notre Terre, il n’y a jamais de réel silence. Alors que l’univers et l’espace, eux, vides d’air et d’éther, seraient des immensités infinies de silence ? Dans l’Univers, pas de son, seulement du Silence ? Aucune vibration porteuse d’une quelconque information ? Les Dieux seraient-ils muets dans l’Univers ? Quid alors du Logos originel, du Verbe ?

On retrouve ici ce problème insoluble, cette aporie qui fait d’ailleurs l’objet, dans le bouddhisme zen Japonais, du kōan initiatique suivant : « L’arbre qui tombe dans la forêt, fait-il du bruit si personne ne l’entend ? »

Pris par le vertige de ces questions, on peut continuer sur un autre axe de perspective, sur lequel le silence se définit comme s’opposant à la voix, à la parole. Le silence est alors la volonté, ou l’obligation, de se taire.

Cette approche est tout aussi vertigineuse, et les considérations concernant le Silence sont mystère depuis des millénaires.

Le concept de silence est porteur, depuis l’origine, de ce triptyque qu’est l’absence de bruit, comme phénomène extérieur, mais aussi le fait de ne pas faire de bruit, et l’action consciente de se taire, c’est-à-dire : soit d’arrêter sa parole (volontairement ou non), soit de s’abstenir, de ne même pas commencer à exprimer sa pensée…

En 1327, « garder sa silence » (au féminin) était reconnu dans le recueil « l’Art et la Science de parler et de soy taire » ; c’était aussi une punition monastique que d’être « mis en silence ».
(zapper sur le TLFi (atilf.fr), Trésor de la Langue Française Informatisé)

Dès avant l’ère chrétienne, les érudits latins débattaient déjà sur la signification et la portée de l’annotation « silence » (« ST ») dans les pièces de théâtre grecques antiques qui les précédent de plusieurs siècles : fallait-il « jouer » ce silence ? Comment fallait-il l’interpréter ?

Étymologiquement, le mot nous vient du latin silens (silencieux, inerte, inactif), participe adjectivé de sileo, issu de l’indo-européen sē(i), idée de « laisser tomber, semer, permettre ».

En Japonais, il existe 3 idéogrammes distincts : pour signifier d’une part l’absence de son, et un autre pour l’absence de parole, un troisième pour faire silence à quelque chose.

Dans l’hindouisme, le terme sanskrit « nāda » (qui, étrangement, signifie en Espagnol « rien du tout, vide, absence »), le terme sanskrit « nāda », donc, est utilisé pour des sons qui peuvent être intérieurs, permettant un contact avec le divin. Le Nada-yoga est une pratique qui va jusqu’à décrire dix étapes de l’‘écoute de ce son intérieur, que nous, occidentaux, appelons simplement « silence ».

Clin d’œil de la linguistique humaine, un proverbe sanskrit énonce tout autant que « le silence est la parure de l’ignorant dans l’assemblée des sages ».

On touche là toute la magie du devoir de silence des apprentis-sages, comme composante de nombreux chemins initiatiques.

Dès le Vème siècle de l’ère chrétienne, l’Algérien Aurelius Augustinus d’Hippone, dit Saint Augustin, nous rappelle dans son Sermon 288 que voix et Parole ne sont pas la même chose, et que là où Saint Jean Baptiste est la voix qui annonce, il s’efface devant le Christ qui est la Parole. Linguiste et grammairien, Saint Augustin nous rappelle ainsi que la voix ne sert à rien s’il n’y a l’idée qui la surpasse.

C’est encore dans son Sermon 288 qu’il s’adresse ainsi aux apprentis disciples, je cite : « Si votre patience, si votre ardeur paisible, si votre attention silencieuse me le permettent, je vous dirai avec l’aide du Seigneur ce que le Seigneur m’inspire de vous dire ; et pour vous dédommager de votre attention, de votre application, je ferai sûrement pénétrer dans vos oreilles et dans vos cœurs des vérités qui touchent à un profond mystère. »

L’on voit que cette présente esquisse, qui débute d’un point central qu’est le silence, m’a permis de tracer un segment opposant diamétralement la notion de son comme vibration et la notion de bruit comme dérangeant et non-pertinent. De ces polarités, je me suis permis d’entamer un tour de la question lié à la parole, à la voix, et cela m’a bien vite amené à tracer du volume à cette base, élever une dimension temporelle qui m’a entrainé dans les civilisations antiques, et vers une dimension spirituelle où mon ignorance a cru pouvoir côtoyer la sagesse et le divin.

Dans le Premier Livre des Rois, au Chapitre 19, verset 12, l’Éternel visite le Prophète Élie sous la forme, nous dit la Liturgie moderne, de « murmure d’une brise légère ».

Mais remontons dans le temps passé des traductions, qui nous disent que l’Éternel est effectivement « un murmure doux et léger » (Bible de Louis Segond, en 1910), Il était « une voix douce et subtile » dans la Bible Française de John Nelson Darby (1859), « un son doux et subtil » (Bible de David Martin, en 1744), et la Torah moderne francophone mentionne aussi « un doux et subtile murmure ».

Mais avant ces traductions modernes, dans la version dite du Roi Jacques 1er d’Angleterre, en 1611, l’Éternel était « une petite voix immobile », et, de fait, le Targum antique, qui est la traduction de l’hébreu biblique en Araméen courant, décrit la visite de l’Éternel à Élie comme « la voix qu’on loue dans le silence ».

C’était, alors, leur traduction en Araméen de la version Hébraïque qui en réalité décrit à l’origine « qol demama daqqa » : l’Éternel est « une voix de fin silence », « une voix de silence tenu ».

On doit à Michel Masson, professeur d’Hébreu à la Sorbonne Paris III, d’avoir analysé les traductions anciennes, médiévales et modernes, de ces trois mots « qol demama daqqa », étude publiée dans la Revue de l’histoire des religions n° 208, et dans son ouvrage « Élie ou l’appel du silence », en 1992.

Attiré par cet apparent oxymore mystique du Logos se faisant Silence, j’ai été conduit à entr’apercevoir l’Alpha (mais pas l’Omega) des volumes sacrés : j’ai rencontré l’Aleph Hébraïque.

L’alphabet Hébraïque, l’Alephbeth, contient 22 lettres, qui sont toutes des consonnes, et seulement des consonnes, toutes sauf une, la première : l’Aleph.

L’Aleph n’est pas une consonne, mais il n’est pas une voyelle non plus, il ne se prononce jamais seul : il est la lettre du silence. Il annonce ce qui suit, il influence la prononciation des lettres qui le suivent, leur portée, leur sens.

Or l’Aleph est omniprésent dans la Genèse, porteur de sens toujours, mais jamais traduit car intraduisible.

Écrit en minuscule, , le symbole de l’Aleph est une tête de bovin (bœuf ou taureau). Il est l’humilité, l’abnégation, le travail de la terre, la semence, la patience, l’espérance.

Sa majuscule, elle, est symbolisée par le Vav qui engendre la vie, entouré en bas à gauche par un Yod terrestre du devenir et en haut à droite par un Yod de la présence du monde en soi. C’est l’unité, la puissance, le Maître (dans le sens de master, maestro), le lien entre la terre et le ciel. Sa valeur est 26, qui est la valeur du Tétragramme Divin.

Ainsi, le silence a son symbole, et quel symbole… qui me conforte dans ma foi en une continuité universelle du sens de toute chose. Le silence, pseudo-vide, est créateur de sens, lieu de création.

Tout comme en musique, l’art des sons, des vibrations et du temps, où le silence a toute sa place : des pauses, demi-pauses, des soupirs, demi-soupirs, qui arrêtent le son, suspendent le temps…

« Suspendre le temps, oui, mais pendant combien de temps ? »… Autre aporie, autre kōan…

Le silence se pose entre deux notes, entre deux vibrations, il est une cassure dans le continuum des sons. Mais placez deux silences et déjà un rythme se crée, une pulsation nait de l’absence de son.

Les silences font partie de l’œuvre, ils sont dans la partition.

Mieux, souligne Sacha Guitry qui écrit en 1947 en parlant de Mozart : « Ô privilège du génie ! Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. »

Aldous Huxley soutenait en 1928 dans Contrepoint que « le silence est aussi plein de sagesse et d’esprit en puissance que le marbre non taillé est riche de sculpture. »

Il faisait là référence à Michel Ange, qui affirmait, je cite, qu' »il y a dans les blocs de marbre des images somptueuses ou fondamentales, si tant est qu’on soit capable de les en arracher. Car tout ce qu’on peut concevoir, le marbre le renferme en son sein ». Et Michel Ange ajoute : « mais il n’y a qu’une main obéissante qui puisse l’en faire éclore. »

Alors, paraphrasant Michel Ange, on peut affirmer avec Aldous Huxley qu’il y a, dans le silence, du divin ; si tant est qu’on soit capable d’une oreille et d’un cœur obéissants qui puissent l’en faire éclore. Ce à quoi nous incitait Saint Augustin tout à l’heure.

De toutes ces considérations, l’on peut comprendre pourquoi le silence intimide. Car, avant toute éclosion initiatique, il peut être pesant, angoissant. Il est aussi la mort, le vide, le néant.

Mais, là, comme je me trouve grisé et enjoué par le vertige de ces pistes de réflexion entrevues, le silence, présentement, ne m’est pas angoissant.

Le fait de travailler concrètement sur la dimension spirituelle du silence me permet de m’imprégner de mots, de sens, d’un sens profond des choses du monde.

Je me sens être monté dans de bien hautes sphères, et je dois maintenant redescendre en verticalité et retourner me taire.

Si je suis souvent tiraillé entre la peur de me taire trop, et la peur de trop parler, je suis plus apaisé maintenant. Après que j’ai esquissé ce présent travail, mon silence ne sera plus le même que ce qu’il était.

Aussi, assumant mon statut d’apprenti rédacteur, je vais retourner honorer mon devoir de silence, et le recevoir comme une chance qui m’est donnée d’écouter en silence.

Au commencement…

« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu… » selon Augustin Crampon.

Cependant, l’on pourrait aussi traduire ainsi le Livre de la Loi Sacrée :

« Au commencement était le Logos, et le Logos était tourné vers Dieu, et le Logos était Dieu…» 

Logos : parole et langage, raison et principe, commencement et commandement…

On eût pu traduire par : « Dans le principe était l’institué, et l’institué était orienté vers Dieu, et l’Institué fut Dieu…» (insti tué fut dieu)

Bref, tout est dans tout, tout était déjà dans la Chispa divina,… et on brode autour de cela depuis toujours. Alors avant la chute, chut…